2002/02/22

2002/02/16

Discours de Noëlla pour Geneviève Anthonioz-DeGaulle décédée le 14 février 2002

Discours à Notre-Dame de Paris et à l'église de Bossey (74)


On a beaucoup parlé de Geneviève résistant au nazisme, de Geneviève luttant contre la mollesse des gouvernements face  à la misère et l’exclusion de certains. J’aimerais, au moment où elle nous quitte, donner d’elle une image plus intimiste, de la Présidente de l’ADIR et de l’amie.

L’ADIR a un minuscule journal, "Voix et Visages", .s’il est petit par le format, il est grand par sa densité. Geneviève y écrivait parfois l’éditorial, y rappelant les leitmotive de l’association : la solidarité entre nous et le devoir de témoignage de notre vécu concentrationnaire. Ce petit journal est le signe constant de nos liens exceptionnels nés dans l’enfer des camps et nous y sommes toutes très attachées. Attachées aussi à l’assemblée générale nous réunissant, chaque année à Paris au mois de mars. Nous sommes une centaine, venues de toute la France, impatientes de retrouver notre chère Présidente qui va, souriante et chaleureuse vers chacune d’entre nous, s’informant de la santé de nos proches, donnant à chacune l’impression d’être privilégiée. Entre nous, nous évoquons les nombreuses qualités de Geneviève: son intelligence, sa grande culture, sa courtoisie, sa modestie, sa rigueur de pensée en ce qui  la concerne, sa mansuétude pour les fautes des autres, son aisance à répondre d’abondance, sans une  seule note, aux discours des officiels qui nous reçoivent dans nos déplacements en province, son aptitude à trancher dans les débats contradictoires mais surtout, ses qualités de cœur, son humanisme, son constant souci d’autrui.

C’est au camp de Ravensbrück que j’ai fait la connaissance de Geneviève. Nous sommes parties dans le même convoi de déportation appelé le "convoi des milles", mille femmes entassées dans les wagons à bestiaux que l’on connaît, pendant trois jours, avec les nuisances que l’on a peine à imaginer si on ne les a pas vécues. Après avoir été, à l’arrivée, dépouillées de tout, même de notre nom, nous devenions les "27000". Geneviève n’eut pas, parmi nous, le seul ascendant que son nom prestigieux, pour nous, résistantes, lui conférait; elle fut, avec certaines, un exemple de dignité et de courage, dignité bien difficile à conserver dans un lieu dont le chef, Himmler, a dit, en parlant de nous: "On les mettra dans la boue, ils deviendront de la boue".
Nous appartenions, l’une et l’autre à un petit groupe qui se réunissait parfois, pour prier et demander à Dieu la force de supporter l’insupportable. Cela se passait derrière un block, une prisonnière faisant le guet afin de ne pas nous laisser surprendre par les gardiens dont nous aurions eu alors à subir les foudres, toute  manifestation de ce qui fait la profondeur de l’âme humaine: culture, religion, étant strictement interdite.

Ce qui nous avait rapprochées, Geneviève et moi? Notre commune foi chrétienne et le fait que, par sa mère, elle était originaire de l’Anjou, province dans laquelle j’ai vécu toute ma jeunesse jusqu’à mon arrestation par la Gestapo en 1943.

Depuis la fin de cette dure épreuve j’ai souvent eu le privilège de vivre sous son toit. Heureuses de nous retrouver ensemble, nous bavardions. Elle me parlait, bien sûr, des causes qui lui tenaient à cœur: ATD-Quart-Monde, la rédaction du futur projet de loi contre l’exclusion, duquel elle attendait tant! de la gestation de ses livres, de l’avenir de l’ADIR. Elle me disait aussi son admiration pour chacun de ses enfants, leurs espoirs, leurs chagrins et elle exultait en me montrant les dernières photos de ses petits-enfants dont certains sont bien grands aujourd’hui. Nous revenait parfois une bouffée de jeunesse et, pour un rien, nous éclations de rire: j’aimais tant voir le rire de Geneviève! J’aimais aussi la regarder se livrer à ses humbles tâches de maîtresse de maison, émue de la voir le faire avec le même sérieux, la même attention que dans ses interventions à l’Assemblée Nationale.

Si Geneviève est maintenant dans la paix, nous sommes dans la peine. Nos pensées vont intensément vers vous, Michel, François-Marie, Isabelle, Philippe, vers vos époux, épouses, vos enfants, tant chéris de leur "Bonne Maman", vers vous, touchante Rooba, qui l’avez soignée avec tant de sollicitude, tant d’amour et qui la pleurez à nos côtés. Et partageant votre douleur, nous sommes peinés de réaliser que cela n’enlèvera pas la plus petite parcelle de la vôtre.

Elle vous laisse un message dans son si beau livre "La traversée de la nuit": après la nuit vient l’aube, prometteuse d’espérance. Passé le temps de la terrible affliction du départ, vous réaliserez quel riche héritage elle vous laisse, l’image d’une mère qui fut courage, don de soi et qui devient une grande figure française.
En terminant et me référant à la foi de Geneviève, j’aimerais user d’une phrase qui, pour nous anciennes prisonnières des geôles nazis, conserve une résonance tragique, une phrase que courageusement chantaient nos camarades partant au matin pour le lieu de leur exécution. "Ce n'est pas un adieu, Geneviève, ce n'est qu'un au revoir".